La mort fascine tellement de gens. On l’honore, dans les peintures, dans les écrits, certains lui vouent un culte morbide, d’autres préfèrent ne jamais en entendre parler. Chacun à sa façon entretient une relation avec la mort. Elle est l’issue inévitable de tout être, la fin d’une ère et le commencement d’une autre pour certains. Tant de guerres, de débats concernant le sujet. Dans cette marée d’exploitation, il y avait bien une chose sur laquelle tout le monde s’accordait. Un corps, un cadavre, termine à la morgue, puis dans un cercueil ou un four. Jessie en avait vu des corps défiler, surtout après l’impulsion, elle n’avait pu s’empêcher de considérer ces corps comme de la viande. Ô bien sûr, ses pairs lui avaient appris à respecter le corps humain, à le traiter avec dignité et humilité, mais parfois, il vaut mieux dénaturer, déshumaniser pour mieux supporter l’horreur dont l’homme est capable. La Terre n’aura sans doute jamais connu pareil superprédateur que cette animal. Les temps sombres étaient bien loin maintenant, du moins il semblait à Jessie que cela était une éternité. Cette distance était rassurante, c’est d’ailleurs aussi pour cela qu’elle considérait son viol comme un fait s’était passé autrefois, un passé très lointain qui ne la touchait plus.

De ces pensées, rares étaient celles qui traversaient les portes blindées de la morgue. Ce complexe avait connu un remaniement de sa sécurité, notamment depuis que les transgéniques avaient été mis au grand jour. Il ne fallait pas de faille pour entrer dans l’hôpital qui était une véritable forteresse, semblant imprenable et pourtant, des micros fissures permettaient des fuites. Jessie ne prétendait pas aider les transgéniques. Elle ne prétendait pas non plus ne pas le faire. Elle ne le faisait pas de sa propre initiative, elle le faisait juste quand on le lui demandait, parce qu’en tant que médecin, elle ne pouvait pas refuser d’aider un autre être vivant, que ce soit un humain , un transgénique ou même un animal. Son comportement aurait pu passer pour un comportement hypocrite, comme ceux qui donne de l’argent pour les pauvres une fois par an, quand les médias sollicitent l’aide et prônent la charité chrétienne, alors que le reste du temps ils ne pensent même pas à ceux qui ont faim et même pas une pièce de carton pour s’abriter. Personne n’était parfait et Jessie était loin de l’être. D’ailleurs elle ne prétendait pas l’être et selon sa définition, la perfection était d’un ennui mortel, car une fois au bout des choses, que restait-il à faire pour rendre ces choses meilleures ?

Ce matin d’avril était pluvieux. La ville avait pris une teinte encore plus grise que d’habitude, ci et là des papiers ramolli, collés contre les murs ou les poubelles renfermaient des massives qui s’effaçaient progressivement. Les bouches d’égout fumantes cachaient des coursiers ou piétons qui ne se préoccupaient de rien d’autres que d’arriver à leur destination ou de faire leur travail. Jessie était également dans ce cas, emmitouflé dans son imperméable, elle bravait ces aiguilles froides qui lui frappaient le visage pour aller travailler. Ces temps-ci c’était plutôt calme et elle se voyait déjà s’asseoir à son bureau pour continuer ce livre qu’elle gardait rangé dans le tiroir de droite, derrière sa boite de praline. Ses plans furent néanmoins mis aux arrêts par l’arrêt quasi simultané de sa personne et du véhicule mortuaire. Elle soupira. Encore un pauvre bougre ou une pauvre bougresse enveloppé dans un sac noir. Elle prit en charge le corps , signant le reçu. A croire qu’elle recevait un paquet de la poste. Elle poussa le brancard jusqu’à la salle principale de la morgue, là où les corps étaient préparés. Elle demanda à 2 armoires à glace qui ne faisaient rien d’autre de leur journée que de bouger des corps de mettre le nouvel arrivant sur la table pendant qu’elle se débarrassait de son manteau et se changeait pour pouvoir travailler.

Elle revint, avec en main son I-pod, qu’elle plaça sur son socle. La musique permettait de mieux se concentrer et même si le silence ne dérangeait pas la légiste, elle se disait qu’une musique de fond pour un moment aussi intime entre elle et ce corps , cela rendait les choses moins morbides. Ses yeux se posèrent finalement sur son patient du jour. C’était un jeune homme, à peine vingt ans sans doute.


« Alors mon mignon, qu’est-ce qui t’a donc amené ici, mh ? »

Elle parlait toujours à ses patients, même si elle savait pertinemment qu’il n’y avait pas de conscience , contrairement aux patients dans le coma. Elle commença par enlever ses vêtements, les emballants dans des sacs, après les avoir étiquetés et ajouté à l’inventaire. Dans le cas où il y aurait une famille, cela serait plus facile pour restituer. Elle passa ensuite à un examen poussé du corps. L’on épargnera au lecteur les détails de l’autopsie et des différentes réflexions de Jessie durant le processus. Cependant, quand on analyse un corps sous toutes ses coutures, l’on remarque facilement ce qui a été caché. A quelques centimètres de la nuque du malheureux, Jessie fixait intensément ce qui était la marque des transgénique.

« Han, alors comme ça tu en es… »

Elle se redressa et nota quelques petites choses.

« Les chats ont 9 vies….ton aura t’aura abandonné mon mignon »

C’est alors qu’on sonna. Elle avait trouvé marrant d’installer une sonnette de réception à l’acceuil, cela mettait une touche d’humour dans ce cadre…même si cela était un humour un peu déplacé. Ne s’étonnant pas vraiment de cette visite, Jessie posa ce qu’elle avait en main pour aller voir de qui il s’agissait. A peine eut-elle vu l’homme qui attendait, qu’un sourire se peignit sur son visage.

« Laissez moi deviner…vous êtes venu pour le corps, n’est-ce pas ? » l’accueillit-elle en ouvrant la porte à l’aide sa carte. Il ne fallait pas être un géni pour reconnaitre un agent de la NSA. Elle tendit sa main. "Docteur Jessie Reaves..enchantée"

Une formule comme une autre. Contrairement à ce qu'on pensait, Jessie n'était pas effrayé de contacts avec le sexe opposé, tant qu'elle initiait ces contacts et les contrôlait tout allait pour le mieux. En s'attardant sur les présentations, les traits du visage de l'agent chargé de l'affaire s'imposèrent à elle avec une étrange familiarité...cette sensation de connaitre la personne sans savoir où on l'a déjà croisé.

Jessie n’en voulait pas aux gens vivants de ne pas aimer son lieu de travail. Dans sa carrière, elle en avait vu des réactions, certaines peu appétissante, d’autres assez marrantes. Certaines personnes n’aimaient pas la mort, parce que cette dernière leur faisait peur ou parce qu’elle leur avait arraché un être qui leur était cher. Jessie avait depuis bien longtemps perdu cette appréhension de la mort. Elle l’avait même désirée, voilà deux ans, ne voyant aucune autre possibilité pour cesser de souffrir. De plus elle savait ce qui allait advenir d’elle si elle advenait à mourir, elle terminerait sur sa propre table, analysée par un de ses collègues. Pour ce qui était de son âme, elle n’y croyait pas trop à ces histoires de religion, d’élévation au paradis ou en enfer. Pour elle, ce n’était que quelque chose que les hommes avaient inventés pour être moins effrayés de changer d’état, être moins effrayés de ne plus existé. Et peut-être bien un réconfort pour la famille et les proches. Le malaise de Shane se faisait sentir à la première vue, bien avant qu’il lui réponde. Elle espérait juste qu’il ne tombe pas dans les pommes, car elle n’avait définitivement pas la force physique pour amortir sa chute et la dernière fois qu’elle avait essayé, elle s’était foulée le poignet.

Quand il lui serra la main et déclina son identité, elle eut comme une confirmation de sa sensation de connaitre la personne en face d’elle. Cela ne remontait pas à si longtemps que cela. Elle ne se souvenait pas toujours de tous ses « patients » et de leur famille. Mais ce cas l’avait touché personnellement, chose rare, car elle s’interdisait ce genre de proximité. Elle avait été tellement désolée pour Shane à l’époque et son visage était resté dans sa mémoire. Il n’avait pas changé, quelques cernes en plus, un air de répulsion et quelques rides de plus. Elle comprenait un peu plus ce qu’il devait endurer en cet instant présent.

« Agent Brennan…pas très fréquent qu’une même personne passe cette porte 2 fois d’affilées…entrez…j’ai justement terminé l’autopsie, ça ne prendra que quelques minutes promis » répondit-elle avec un sourire chaleureux, trahissant qu’elle se souvenait de lui.

Son humour n’était pas des meilleurs, mais au moins elle essayait de rendre un peu moins lourde , cette visite de cet agent. Elle le conduit dans la salle principale, là où le corps de l’inconnu reposait, recousu et présentable pour un regard non professionnel. Elle y mettait toujours un point d’honneur quand il fallait que des vivants s’aventurent dans son antre, à mettre les corps en meilleur état possible. Parfois c’était facile, parfois c’était impossible, parfois il fallait faire preuve d’une ingéniosité de croc mort. La légiste contourna la table et commença son compte rendu
.
« On est en présence d’un homme de 26 ans, en excellente santé physique…franchement, je l’envie…enfin…après examination, j’ai trouvé ça… »

Elle lui tourna la tête pour révéler un tatouage sur la nuque.

« Si je ne m’abuse, c’est la marque des transgéniques…sur les contours, on remarque que la peau a été à de nombreuses reprises malmener…je pense donc qu’il a eu recourt à une méthode pour camoufler son tatouage…il a des résidus de saleté sous les ongles, comme s’il avait griffé un support, j’attends le rapport du labo pour en dire plus…on remarque aussi des ecchymose sur ses avants bras, ce qui montre qu’il y a eu lutte…enfin il a un tatouage plus récent …ici… »

Elle tourna son bras gauche. A ce moment un autre homme vint avec un dossier. C’était le rapport de la toxicologie. Jessie le parcourut rapidement.

« Plus de doute sur sa nature, l’hémoglobine de notre inconnu n’est pas humain…s’ajoute à cela une déficience sévère en sérotonine …mais il y a des traces d’extasie et de codéine dans son sang...au vue de l’heure de la mort qui doit remonter à je dirai plus d’un jour et le taux de ces 2 drogues…je dirai qu’il est mort d’overdose, mais avec ces gens, on ne sait pas comment réagissent leur corps… »